Écoles publiques haïtiennes: entre gouvernance défaillante et stigmates sociaux
À travers une étude comparative entre l’École Communale et Municipale de Pétion-Ville (ECMPV) et l’École Nationale du Guatemala (ENG), nous avons pu constater les disparités structurelles, administratives et sociales qui affectent la qualité de l’enseignement et la perception des gens de la communauté à l’égard de ces établissements publics. Ces deux écoles, bien que situées dans la même commune, illustrent deux modèles de gouvernance distincts : l’un sous tutelle de la municipalité, l’autre sous contrôle de l’État central via le Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle.

Publié le 14-Octobre-2025
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Dans l’imaginaire collectif haïtien, l’école représente le levier par excellence de l’ascension sociale pour celles et ceux issus des milieux les plus modestes. Il n’est pas nécessaire de citer des noms pour se faire rapidement une idée de cette réalité. Bien qu’elle soit le déclencheur d’une transformation individuelle et, par extension, qu’elle contribue positivement à la vie sociale, l’école demeure souvent une impasse où seuls les meilleurs ou les plus chanceux réussissent à s’en sortir. Peut-on véritablement bâtir un système scolaire sur ces deux extrémités alors que l’école est censée être un espace de transformation individuelle et de cohésion collective, formant des citoyens responsables et engagés ? Comprendre le système « antonwa » de nos écoles revient à saisir la réalité du secteur éducatif national, marqué par la ségrégation et des rapports sociaux inégalitaires, comme l’a souligné le Docteur Jacques Abraham. Selon lui, les écarts entre les différentes écoles et les disparités sociales sont tels qu’ils engendrent des individus parfois étrangers à eux-mêmes et incapables de contribuer de manière significative au développement de leur pays.
Dans le paysage éducatif haïtien, les écarts entre les écoles publiques et non publiques sont une évidence. Toutefois, au sein même des écoles publiques se cache une triste réalité même si elles incarnent à la fois l’espoir d’une éducation accessible et les limites d’un système en tension.
À travers une étude comparative entre l’École Communale et Municipale de Pétion-Ville (ECMPV) et l’École Nationale du Guatemala (ENG), nous avons pu constater les disparités structurelles, administratives et sociales qui affectent la qualité de l’enseignement et la perception des gens de la communauté à l’égard de ces établissements publics. Ces deux écoles, bien que situées dans la même commune, illustrent deux modèles de gouvernance distincts : l’un sous tutelle de la municipalité, l’autre sous contrôle de l’État central via le Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle. Cette dualité révèle les failles d’un système éducatif fragmenté, où les enjeux de financement, de stabilité administrative et de reconnaissance sociale se conjuguent pour façonner des trajectoires scolaires inégalitaires.
L’analyse organisationnelle montre que l’ENG bénéficie d’un encadrement plus structuré, avec un personnel enseignant régulier et fonctionnaire de l’État central, des infrastructures relativement solides et une certaine régularité dans la gestion pédagogique. En revanche, l’ECMPV souffre d’une surcharge des effectifs bien plus grande que l’ENG, d’un environnement physique dégradé et d’une instabilité chronique du personnel enseignant, souvent nommé selon des logiques politiques locales. Cette précarité administrative, couplée à des salaires irréguliers (soit 10000.00 gourdes par trimestre) et à l’absence d’avantages sociaux, engendre une démotivation généralisée et compromet la continuité pédagogique. L’écart entre les deux établissements ne réside pas uniquement dans les ressources disponibles, mais dans la capacité des structures de gouvernance à assurer une gestion cohérente et équitable.
Le concept de gouvernance éducative est central. Il ne s’agit pas seulement de gérer des ressources, mais de construire une vision partagée de l’école publique comme levier de développement local. Or, cette vision est souvent absente dans les écoles communales, où la planification est soumise aux aléas politiques et aux limites budgétaires des municipalités. À l’inverse, les écoles nationales, bien que confrontées à leurs propres défis, bénéficient d’une certaine stabilité institutionnelle. Cette asymétrie pose la question de l’autonomie des collectivités territoriales dans la gestion éducative et de leur capacité à mobiliser les acteurs locaux autour d’un projet scolaire durable.
La perception sociale des écoles publiques constitue un autre axe majeur de l’étude. Les entretiens menés auprès des élèves et des familles révèlent une image souvent négative des établissements publics, perçus comme des lieux de relégation sociale. Le mépris institutionnel dont ils font l’objet se traduit par une faible valorisation des enseignants, une stigmatisation des élèves et une reproduction des inégalités. Les stéréotypes associés à l’école publique – manque d’enseignants qualifiés dans l’ECMPV, infrastructures délabrées de l’ECMPV– alimentent un cercle vicieux où la démotivation scolaire devient une conséquence autant qu’un symptôme. Cette perception sociale, loin d’être anodine, influence directement les parcours éducatifs et les aspirations des jeunes.
Face à ces constats, nous proposons des pistes concrètes pour améliorer la gouvernance et l’image des écoles publiques. Il s’agit notamment de renforcer l’autonomie administrative des établissements, de diversifier les sources de financement, de mettre en place des mécanismes de reddition de comptes et d’impliquer les communautés locales dans la gestion de l’école. Des actions de sensibilisation sont également nécessaires pour revaloriser l’école publique dans l’imaginaire collectif. Ces recommandations ne visent pas seulement à corriger des dysfonctionnements, mais à réhabiliter l’école comme espace de citoyenneté, d’émancipation et de cohésion sociale.
En définitive, cette étude souligne que la qualité de l’éducation publique ne dépend pas uniquement des moyens financiers, mais de la volonté politique et de l’engagement communautaire. L’école, en tant qu’institution centrale de la société, mérite une gouvernance transparente, inclusive et ambitieuse. La commune de Pétion-Ville, bien que confrontés à des réalités différentes dans les deux écoles, illustrent les défis communs d’un système éducatif en quête de sens et de justice. Pour que l’école publique devienne un véritable moteur de transformation sociale, elle doit être pensée comme un bien commun, porté par tous et pour tous.

Orel Stheker VINCENT
Diplômé du CFEF & en Gouvernance Locale
orelsthekerv19@gmail.com
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