Automédication en Haïti : une bombe silencieuse dans les foyers

L’automédication n’est pas un choix individuel. C’est un problème collectif qui menace la santé publique.

Santé

Publié le 24-Octobre-2025

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Dans une petite pharmacie de Carrefour, une mère tend un billet de 500 gourdes au comptoir. Sans ordonnance, elle repart avec des antibiotiques pour “faire passer la fièvre” de son fils. Ce geste anodin, répété chaque jour dans les quatre coins du pays, illustre un danger invisible : l’automédication, une pratique devenue aussi courante que risquée

En Haïti, se soigner soi-même sans avis médical est presque une norme. Pourtant, selon les experts, cette habitude pourrait à long terme affaiblir tout le système de santé. Pour en parler, Radio Télé Voix d’Haïti s’est entretenue avec le Dr André-Louis Bernard, médecin généraliste, professeur d’université et spécialiste en santé publique, formé à Cuba et en Suisse.

Qu’est-ce que l’automédication ?
Maxime Daniel Etienne (Journaliste) : Docteur Bernard, que signifie exactement “automédication” ?
Dr André-Louis Bernard : “L’automédication, c’est le fait de se soigner soi-même sans consulter un professionnel. Cela inclut l’usage de médicaments achetés sans ordonnance, de restes de traitements ou de remèdes traditionnels. Cela peut sembler pratique, mais c’est une habitude dangereuse, surtout lorsqu’elle devient systématique.”

« L’automédication n’est pas une solution, c’est une bombe à retardement sanitaire. » Dr Bernard

Maxime Daniel Etienne : Quelles sont les principales causes de ce phénomène ?
Dr André-Louis Bernard : “Il y en a plusieurs. D’abord, l’accès difficile aux soins : les hôpitaux sont souvent saturés ou trop éloignés. Ensuite, le coût élevé des consultations pousse beaucoup de familles à chercher des alternatives. À cela s’ajoute la facilité d’accès aux médicaments certaines pharmacies vendent sans ordonnance et la tradition des remèdes maison.” Un autre facteur majeur demeure le manque de sensibilisation. Selon une étude menée en 2023 par la Faculté de Médecine de l’Université d’État d’Haïti, plus de 65 % des Haïtiens reconnaissent avoir déjà pris des médicaments sans avis médical.

« L’automédication n’est pas un choix individuel. C’est un problème collectif qui menace la santé publique. » Dr Bernard

Des risques graves, souvent ignorés
Les conséquences de l’automédication sont multiples et parfois irréversibles :
Retard de diagnostic : certaines maladies graves passent inaperçues.
Surdosage ou intoxication : les anti-inflammatoires et le paracétamol peuvent endommager le foie et les reins.
Résistance bactérienne : l’usage abusif d’antibiotiques rend les infections plus difficiles à traiter.
Effets secondaires imprévus : allergies, troubles digestifs, hémorragies, voire hospitalisations.


Cas concret : “Un adolescent a pris plusieurs antibiotiques pour une fièvre. En réalité, il souffrait d’une infection pulmonaire sévère. Il a été hospitalisé d’urgence et heureusement sauvé, mais cette erreur aurait pu lui coûter la vie.” Dr Bernard


Remèdes traditionnels : entre culture et confusion
En Haïti, les plantes médicinales occupent une place historique dans les foyers. Si certaines ont des vertus reconnues, leur usage incontrôlé peut s’avérer dangereux. « Les plantes peuvent soulager certains symptômes, mais elles ne remplacent pas un diagnostic médical. Mal utilisées, elles peuvent aggraver l’état du patient. » Dr Bernard
Les pharmacies, quant à elles, jouent parfois un rôle ambigu : la vente sans contrôle de médicaments favorise une spirale de dépendance et de faux traitements.


Comment réduire ce fléau ?
Le Dr Bernard propose plusieurs pistes de solution :
1. Consulter un médecin dès que les symptômes persistent.
2. Éviter l’usage d’antibiotiques sans prescription.
3. Respecter les doses indiquées sur les ordonnances.
4. Renforcer la régulation du secteur pharmaceutique.
5. Multiplier les campagnes de sensibilisation dans les écoles, médias et églises.

« La prévention est la meilleure médecine. Informer, c’est déjà soigner. » Dr Bernard

Une urgence de santé publique
Au-delà des comportements individuels, l’automédication révèle une crise structurelle du système de santé haïtien : hôpitaux sous-équipés, absence de politique nationale sur le médicament, et vide réglementaire permettant la vente libre de produits potentiellement dangereux.

« Tant que les médicaments se vendront comme du pain, la santé publique haïtienne restera en sursis. » Dr André-Louis Bernard

Conclusion
L’automédication en Haïti est plus qu’un réflexe populaire : c’est une bombe silencieuse qui fragilise les familles et compromet les efforts médicaux. Face à ce constat, la solution passe par l’éducation sanitaire, la régulation stricte et la responsabilité collective. Chaque comprimé pris sans avis médical est un pari risqué sur la santé un pari que trop de foyers haïtiens continuent malheureusement de perdre.

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Maxime Daniel ETIENNE

Journaliste

maximedanieletienne@gmail.com

+509 4133-8168


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