BSAP : de gardiens des forêts à bourreaux des citoyens
Haïti mérite des gardiens de la nature, pas des bourreaux déguisés en protecteurs.
Publié le 10-Novembre-2025
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Créée pour protéger la nature, la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP) devait incarner la conscience verte d’Haïti. Mais à force de dérives, de brutalités et d’arrogance, cette brigade censée surveiller les forêts s’est transformée en un corps armé redouté, agissant sans mandat clair ni contrôle public. Des “écogardes” qui finissent par semer la mort : voilà le triste paradoxe d’une institution devenue symbole d’abus.
Une mission noble devenue un prétexte armé
Officiellement, la BSAP dépend du Ministère de l’Environnement.
Sa mission :
-surveiller les aires protégées,
-combattre la déforestation,
-contrôler la chasse illégale et l’exploitation abusive du bois,
-sensibiliser les citoyens à la protection de l’environnement.
Mais dans la réalité du terrain, ces idéaux se sont noyés dans la brutalité.
Les agents, souvent mal formés, armés et livrés à eux-mêmes, se croient investis d’un pouvoir policier qu’ils n’ont pas. Résultat : des extorsions, des menaces, et désormais… des morts.
Trou-du-Nord et Limbé : deux meurtres de trop
Le 8 novembre 2025, deux nouvelles bavures ont embrasé le Nord du pays. À Trou-du-Nord, Carmel, une jeune marchande d’œufs, a été abattue par un agent de la BSAP nommé Noël. Le motif ?Un différend banal : elle n’avait rien vendu cette semaine et ne pouvait pas payer la “contribution” exigée par l’agent.
Carmel est tombée sous les balles d’une institution censée protéger les arbres, pas tuer les pauvres. L’indignation a explosé : les habitants ont incendié la base locale de la BSAP sur la route du Grand Bassin. Un acte de colère, mais surtout un cri d’épuisement face à une force devenue prédatrice.
Le même jour, à Limbé, un jeune conducteur de moto a également été tué par un autre agent de la BSAP.
Là encore, la population a réagi dans la fureur, incendiant la base locale, accusant la brigade d’agir comme une milice incontrôlée.
Ces deux drames récents confirment ce que tout le monde murmure depuis des mois : La BSAP, censée sauver la nature, détruit des vies humaines.
Un historique de dérives inquiétantes
Ces deux meurtres ne sont pas des accidents isolés. Depuis plusieurs années, les abus de la BSAP s’accumulent :
Date / Lieu Faits rapportés Remarques
Janv. 2024 – Port-au-Prince Le gouvernement interdit à la BSAP de circuler armée ou en uniforme dans les villes. Reconnaissance officielle de dérives violentes.
Fév. 2024 – Sud-Est Cinq agents BSAP tués par la PNH lors d’un affrontement, trois autres arrêtés. Preuve d’un comportement paramilitaire incontrôlé.
Avril 2025 – Plateau Central Accusations d’extorsions, d’enlèvements et de vols par des agents BSAP. Structure criminogène au sein d’un corps d’État.
Mai 2025 Nord-Est Plusieurs paysans dénoncent les agents pour rançonnage et menaces armées. Témoignages concordants sur la corruption interne.
Nov. 2025 Trou-du-Nord & Limbé Deux civils tués par balles, bases incendiées par la population. Explosion populaire contre la violence et l’impunité. Un corps sans garde-fous
L’incohérence du système saute aux yeux :
La BSAP n’est pas une force de l’ordre, mais agit comme telle. Ses agents n’ont aucun pouvoir d’arrestation ni de perception d’amendes. Leur formation militaire est quasi inexistante, leur supervision administrative, floue. Le ministère de l’Environnement n’exerce aucun contrôle effectif, laissant place à une milice parallèle déguisée en service public. Les conséquences sont terribles : peur dans les campagnes, méfiance envers les institutions, et effondrement de la mission environnementale.
Quand l’État confond protection et répression
Sous prétexte de “lutte contre les gangs”, certaines autorités ont cherché à élargir les prérogatives de la BSAP.
Erreur stratégique fatale : on ne combat pas l’insécurité en créant une autre forme d’insécurité. Armer une force mal encadrée, c’est légaliser la violence sans justice. Et au lieu de protéger la nature, on militarise la misère.
Ce que le peuple exige
Assez de slogans écologiques pour couvrir les balles administratives.
Le peuple réclame :
1. Une enquête judiciaire indépendante sur les meurtres de Trou-du-Nord et de Limbé.
2. La suspension immédiate des agents impliqués.
3. Une réforme structurelle de la BSAP pour clarifier son mandat.
4. La publication annuelle des rapports d’activités et des budgets.
5. Le retour à sa mission originelle : protéger la nature, pas assassiner des citoyens.
Carmel n’est pas un dommage collatéral
Carmel vendait des œufs, pas du bois précieux. Elle nourrissait sa famille, pas des trafiquants.
Et pourtant, c’est elle qui est tombée, victime d’un système où la force supplante le droit. Sa mort – comme celle du jeune de Limbé – doit devenir le signal d’alarme d’un pays où la “sécurité verte” s’est transformée en cauchemar brun.
BSAP : Brigad la pa pou pèp la, men kont pèp la.
Haïti mérite des gardiens de la nature, pas des bourreaux déguisés en protecteurs.
Maxime Daniel ETIENNE
Journaliste
maximedanieletienne@gmail.com
+509 4133-8168
