Cap-Haïtien, la ville aux mille couleurs qui étouffe sous ses déchets

À chaque averse, la “Perle du Nord” se transforme en un labyrinthe d’eaux sales et de détritus. Canaux bouchés, odeurs nauséabondes, maladies qui rôdent : au Cap-Haïtien, la pluie n’apporte plus la fraîcheur, mais la peur.

Société

Publié le 11-Novembre-2025

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À chaque averse, la “Perle du Nord” se transforme en un labyrinthe d’eaux sales et de détritus. Canaux bouchés, odeurs nauséabondes, maladies qui rôdent : au Cap-Haïtien, la pluie n’apporte plus la fraîcheur, mais la peur.

Quand la pluie devient fléau
Le tonnerre gronde, les premières gouttes tombent et en quelques minutes, les rues du Cap-Haïtien se changent en torrents boueux. Les canaux débordent, les trottoirs disparaissent sous les flots, et les habitants fuient les eaux noires qui envahissent maisons et marchés. « Se pa dlo lapli ankò, se dlo fatra ak pwazon ! » Mona, mère de famille à Barrière Bouteille

Sur la route principale, des enfants sautent entre les flaques sans se douter du danger. Leurs rires se mêlent à l’odeur du plastique brûlé et de la boue stagnante. Quand le ciel s’éclaircit, la ville reste couverte d’un manteau d’eau sale reflet d’un désordre plus profond.


Les canaux étouffés, la ville aussi
Les infrastructures de drainage du Cap-Haïtien n’ont pas suivi la croissance urbaine. Certains canaux n’ont pas été curés depuis des années. D’autres servent de dépotoirs improvisés. Résultat : chaque pluie devient un rappel brutal de l’abandon. « L’eau de pluie n’a plus d’issue, alors elle remonte. C’est la ville qui se noie dans sa propre saleté. » Wilner Desrosiers, technicien municipal

Sur le boulevard, les motos peinent à circuler. Les marchés ferment, les écoles aussi. Les habitants attendent que l’eau se retire pour reprendre une vie “normale”.


Des flaques pleines de maladies
Dans ces eaux stagnantes se cachent des milliers de menaces invisibles. Les hôpitaux du Cap enregistrent, après chaque pluie, une hausse notable de fièvres typhoïdes, de diarrhées et d’infections cutanées. « Ce n’est pas une simple inondation, c’est une bombe sanitaire », Dr Marie Line Pierre, pédiatre à l’Hôpital Justinien


Les enfants, qui jouent dans la rue, y trempent les pieds. Certains tombent malades quelques jours plus tard. L’eau, censée laver, devient source de contamination.


Quand les citoyens prennent le relais
Faute d’action durable des autorités, la riposte vient souvent des habitants eux-mêmes. Dans le quartier de Petite-Anse, des groupes de jeunes se mobilisent avant chaque averse pour curer les canaux. « Nou bouke viv nan dlo sal ! Si leta pa fè anyen, nou pral fè li pou kont nou ! » Réginald, membre du collectif Men nan Men pou Kap Pwòp

Avec leurs pelles et leur courage, ils libèrent les rigoles. Ces gestes, modestes mais symboliques, rappellent que la solution passe aussi par une responsabilité citoyenne.

Le cycle de la négligence
Les écologistes dénoncent un cercle vicieux : absence de planification, manque d’entretien, puis catastrophe à chaque saison des pluies. « On ne peut pas attendre la prochaine inondation pour agir », insiste James Pierre, ingénieur environnemental. Il prône le curage régulier des canaux, le tri des déchets et la réhabilitation du système d’évacuation. Mais pour l’instant, le cycle continue : la pluie tombe, l’eau monte, et la ville s’enfonce.


Espoir dans la boue
Le soir, quand les flots se retirent, les habitants sortent pour balayer, assécher, réparer. Les femmes rincent leurs étals, les hommes dégagent les caniveaux, les enfants aident à ramasser les sacs plastiques.

Le Cap-Haïtien, malgré tout, se relève.
Et dans la lumière du couchant, entre deux flaques d’eau grise, brille un reflet fragile : celui d’un peuple qui refuse de se noyer dans l’oubli.


Les chiffres-clés de la crise
200 tonnes de déchets produites chaque jour au Cap-Haïtien, Moins de 50 % sont effectivement collectées. Plus de 30 quartiers à risque d’inondation à chaque averse, +25 % de cas de maladies infectieuses signalés après les pluies intenses (source : Hôpital Justinien)

“L’eau n’est plus un bienfait du ciel.
Elle est devenue le miroir de notre abandon collectif.”

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Maxime Daniel ETIENNE

Journaliste

maximedanieletienne@gmail.com

+509 4133-8168


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