Cap-Haïtien, la ville aux mille couleurs qui étouffe sous ses déchets

Cap-Haïtien, avec ses façades colorées, ses balcons en fer forgé et son histoire vieille de trois siècles, garde une beauté fière. Mais cette beauté résiste à grand-peine sous le poids des ordures.

Société

Publié le 11-Novembre-2025

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À six heures du matin, le soleil grimpe lentement au-dessus des collines du Morne Rouge. Dans les rues du Cap-Haïtien, les balais frottent déjà le bitume. Les premiers vendeurs installent leurs planches, pendant qu’un camion municipal, moteur toussant, tente de remonter la rue 18, bloquée par un amas de détritus. L’odeur est âcre, tenace. Mélange de déchets, d’eau croupie et de sel marin venu du port.
La “Perle du Nord” se réveille mais avec un goût d’amertume.

Une ville magnifique… ensevelie
Cap-Haïtien, avec ses façades colorées, ses balcons en fer forgé et son histoire vieille de trois siècles, garde une beauté fière. Mais cette beauté résiste à grand-peine sous le poids des ordures. Au centre-ville, les trottoirs sont envahis de sacs plastiques gonflés par la chaleur. Dans les ravines, les déchets bouchent le passage de l’eau et transforment les ruelles en marécages dès la première pluie.

« Gade kijan nou ap viv… », lâche Marie-France, marchande de fruits au marché Cluny, le visage fatigué. Elle ramasse quelques épluchures avant de les déposer dans un seau. « Chak jou, se menm bagay la. Lè lapli tonbe, fatra yo desann sou nou. Gen tanpèt, men pa gen netwayaj. »

Le poids de l’abandon
Derrière cette situation, un engrenage de problèmes s’imbrique : manque de camions, absence de plan de gestion des déchets, budget municipal limité, mais aussi indifférence collective. Selon des estimations locales, moins de 45 % des déchets produits chaque jour sont collectés. Le reste finit dans les canaux, sur les plages ou dans la mer. Au marché de Barrière Bouteille, des enfants pataugent dans une flaque d’eau trouble. Un homme les regarde en secouant la tête : « Sa fè mal. Lè ou wè pitit pèp la ap jwe nan fatra, ou konprann kijan nou bezwen chanjman. »


Une urgence de santé publique
À l’Hôpital Universitaire Justinien, le docteur Wilner Jean voit chaque semaine des cas liés aux conditions insalubres. « Fièvres, diarrhées, infections cutanées… Les maladies environnementales augmentent, surtout après la pluie », explique-t-il. « Le Cap a besoin d’une stratégie durable, pas d’opérations symboliques. »

Pendant ce temps, les moustiques prolifèrent dans les eaux stagnantes et les rats circulent librement entre les marchés. La salubrité, ici, n’est pas un luxe : c’est une question de survie.

Des citoyens qui refusent de baisser les bras
Pourtant, au milieu du chaos, une autre image émerge : celle d’une jeunesse engagée. Sous un soleil de plomb, une trentaine de volontaires de l’association “Nou Pwòp Tou” balaient la route nationale menant à Vertières. Balais à la main, gants usés, ils ramassent plastique après plastique. « Se pa travay fasil », confie Chedline Joseph, étudiante en sciences sociales. « Men si nou pa fè li, kiyès ki pral fè li pou nou ? »

Leur action attire les regards. Certains habitants se joignent spontanément à eux, d’autres apportent de l’eau ou des sacs. L’initiative ne résout pas tout, mais elle ravive une étincelle : celle de l’espoir collectif.


Entre rêve écologique et réalité urbaine
Des ingénieurs et écologistes locaux imaginent déjà un Cap plus vert. L’un d’eux, James Pierre, milite pour une gestion intégrée des déchets. « Si nou kontinye ap jete san reflechi, n’ap pèdi plis pase yon vil. Se lavi nou n’ap gaspiye. » Il plaide pour le tri, le compostage et des projets de recyclage communautaire. Un prototype de centre de tri est en préparation à Petite-Anse, soutenu par un collectif d’entrepreneurs et d’organisations locales.


Le Cap du futur se construira avec ses habitants
À la tombée du soir, la lumière orangée baigne les façades de la rue 20. Des enfants jouent au ballon entre deux tas d’ordures. L’un d’eux s’arrête, ramasse une bouteille vide et la dépose dans un bac.


Geste anodin, mais symbole fort.
Le Cap-Haïtien, ville de mémoire et de luttes, porte encore en lui l’esprit de résistance d’Henri Christophe. Aujourd’hui, cette résistance se joue autrement : dans la volonté de rendre la ville propre, digne, respirable.

Parce que derrière chaque sac poubelle, il y a une question qui résonne : “Ki imaj n ap kite pou pitit nou yo ?” Quelle image la “Cité du Roi” veut-elle offrir au monde celle d’un passé glorieux enseveli, ou d’une renaissance qui s’écrit, balai après balai ?

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Maxime Daniel ETIENNE

Journaliste

maximedanieletienne@gmail.com

+509 4133-8168


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