Fausse Rareté ? Le MCI Met les Spéculateurs en Garde

Pour mettre un frein à la spéculation, le Ministère du Commerce annonce que des équipes d’inspecteurs sont déployées sur tout le territoire national.

Société

Publié le 20-Novembre-2025

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Port-au-Prince, 20 novembre 2025 — Dans un contexte national marqué par l’insécurité, les tensions économiques et les perturbations récurrentes du marché des produits pétroliers, le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) a publié un avis officiel visant à rassurer la population : aucune rareté de carburant n’est enregistrée sur le marché national. Cette mise au point intervient alors que plusieurs zones du pays ont signalé, ces derniers jours, des files d’attente inhabituelles et des stations-service fermées, laissant planer le spectre d’une nouvelle crise énergétique.

Un démenti formel face à la rumeur d’une pénurie
Selon le MCI, les informations recueillies auprès des importateurs et des distributeurs montrent que les produits pétroliers sont disponibles en quantité suffisante pour répondre aux besoins du marché. « Les produits sont disponibles », insiste l’avis, soulignant que les réserves actuelles permettent d’assurer un approvisionnement normal du territoire.
Toutefois, malgré ces assurances, des perturbations locales ont été constatées. Elles seraient, selon le ministère, la conséquence de pratiques « irrégulières et non conformes aux normes en vigueur ». Cette formulation renvoie de manière implicite à un phénomène bien connu en Haïti : la création artificielle de raretés, souvent motivée par la spéculation et l’espoir d’une hausse des prix.

Les “raretés fabriquées” : un phénomène devenu presque structurel
Depuis plus d’une décennie, les crises de carburant se répètent avec une telle régularité qu’elles sont devenues un élément de la vie économique haïtienne. Très souvent, la pénurie réelle n’est pas la cause première de ces crises.
Il suffit parfois d’une rumeur, d’un retard logistique mineur ou d’un signal ambigu pour que certains distributeurs ferment volontairement leurs stations-service, tentant de provoquer une rareté artificielle susceptible de justifier des prix parallèles beaucoup plus élevés.
Dans certains quartiers de Port-au-Prince, du Cap-Haïtien ou encore de Jérémie, la pratique est bien connue : lorsque la spéculation commence, le gallon de gazoline peut passer de 365 gourdes à 1 500 gourdes en quelques heures sur le marché informel.
Le gouvernement se retrouve alors régulièrement obligé de démentir ces pénuries « montées de toutes pièces » et de rappeler que le carburant est bel et bien disponible.
L’avis publié par le MCI s’inscrit clairement dans cette dynamique. Il veut prévenir la population d’une manipulation potentielle du marché, tout en signalant que l’État entend réagir plus fermement cette fois-ci.

Une nouvelle stratégie : multiplication des inspections et coordination avec la PNH
Pour mettre un frein à la spéculation, le Ministère du Commerce annonce que des équipes d’inspecteurs sont déployées sur tout le territoire national. Cette mesure vise trois objectifs:
• Réaliser des inspections spontanées dans les stations-service et points de distribution ;
• Vérifier le respect des prix et des conditions de vente établis par les autorités ;
• Prévenir et sanctionner toute pratique spéculative ou illégale.
Ce renforcement des contrôles n’est pas une première. Toutefois, le ministère indique que les opérations seront menées en coordination avec la Police Nationale d’Haïti (PNH), une collaboration rarement mise en avant publiquement.
Cette annonce suggère que les autorités sont conscientes de la dimension sécuritaire entourant la vente de carburant. Dans plusieurs régions du pays, des groupes armés ont déjà été impliqués dans le contrôle informel des stations-service, dans le détournement de camions citernes ou dans la revente illégale du carburant à des prix exorbitants.
La présence de la PNH pourrait permettre de sécuriser les corridors de distribution, mais aussi de dissuader les exploitants qui envisageraient de se soustraire aux règles officielles.

Une population méfiante, mais avide de transparence
Si l’avis du ministère se veut rassurant, une partie de la population demeure sceptique.
Les Haïtiens ont vécu tant de crises pétrolières réelles ou fabriquées qu’il leur est souvent difficile d’accorder du crédit aux déclarations officielles. « Chak fwa yo di gen gaz, se menm lè sa ki gen kriz », ironisent certains automobilistes sur les réseaux sociaux.
Il n’en demeure pas moins que la transparence du marché pétrolier est depuis longtemps l’un des points faibles de la gouvernance économique du pays. Les contrats d’importation sont souvent opaques, les marges de distribution variables, les mécanismes de contrôle insuffisants.
Dans ce contexte, l’annonce du MCI représente une tentative de réaffirmer l’autorité de l’État sur un secteur hautement stratégique.

Entre spéculation, fragilité institutionnelle et dépendance énergétique
La crise autour du carburant ne se limite pas à des manipulations du marché. Haïti est un pays entièrement dépendant des importations pour son énergie fossile, ce qui le rend extrêmement vulnérable à la conjoncture internationale, aux retards logistiques et aux fluctuations du dollar.
Les difficultés d’approvisionnement des années 2019, 2021 et 2022 accompagnées de blocages portuaires, d’insécurité et de tensions politiques sont encore vives dans la mémoire collective.
Chaque signe de désorganisation réveille la peur d’une nouvelle paralysie nationale, allant des transports publics aux hôpitaux, en passant par la production alimentaire.
L’avis du MCI tente donc non seulement de rectifier des informations erronées, mais surtout de rompre le cycle de panique, première étape menant presque toujours à une crise artificielle.

Le MCI appelle au calme
Dans sa conclusion, le ministère invite la population à la sérénité, soulignant que l'État, les distributeurs et la PNH collaborent pour assurer la stabilité du marché et le bon fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement.
Reste à savoir si ces mesures suffiront à endiguer les dérives habituelles. Les prochains jours seront déterminants : si les stations-service rouvrent progressivement et si les prix restent stables, le message ministériel aura atteint son objectif.
Dans le cas contraire, Haïti pourrait se diriger vers une nouvelle séquence de tensions autour du carburant un scénario que tous espèrent éviter.

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Paul Markenley AUGUSTIN

Journaliste reporter d'image/ Administrateur

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