Politique

Publié le 29-Jul-2025

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Haïti face à l’échec politique : Urgence de refonder la classe politique

Haïti nécessite une nouvelle classe politique, pas simplement des nouveaux visages politiques. Une classe politique qui favorise le bien commun au détriment de l’intérêt individuel.

Port-au-Prince, 29 juillet 2025 - Depuis plusieurs décennies, Haïti traverse une crise politique chronique, marquée par l’instabilité institutionnelle, la faiblesse de l’État, la méfiance citoyenne et l’incapacité des élites à répondre aux aspirations de la population. Cette situation trouve l’une de ses causes principales dans l’échec patent de la classe politique haïtienne. Loin de servir l’intérêt général, celle-ci perpétue des logiques de clientélisme, de prédation, et de personnalisation du pouvoir. Face à cette impasse, il devient impératif de penser une refondation radicale de la classe politique haïtiennes, seule voie possible vers une Haïti démocratique, stable et prospère. Par extension, la classe politique désigne l’ensemble des individus qui occupent des fonctions politiques importantes dans une société donnée, que ce soit au niveau local ou national. Cela inclut les élus, les dirigeants de partis, certains hauts fonctionnaires, voire des acteurs influents sans mandat électif mais ayant un rôle dans les décisions politiques du pays.

La politique, dans son essence première, est l’art de gérer la cité au profit de l’intérêt général. Cette thèse est soutenue par plusieurs penseurs politiques notamment Aristote, Platon, Rousseau, Hannah Arendt. En résumer, la politique est aussi un outil au service de la nation, un moyen d’organiser la société, de garantir la justice sociale, et de promouvoir le développement économique et sociale d’un pays. Toutefois, en Haïti, cette noble mission semble détournée au profit d’intérêts particuliers. Le pays fait face à une classe politique souvent accusée de clientélisme, de corruption et d’incompétence, transformant la politique en instrument de pouvoir personnel plutôt en un élément déclencheur de transformation nationale. Certes, cette situation appelle à une urgence profonde de refonder de la classe politique. La classe politique haïtienne actuelle souffre d’un triple déficit de légitimité, de compétence et d’éthique. Nombre de ses membres ne doivent leur position ni à une vision politique claire, ni à un enracinement démocratique, mais plutôt à des arrangements opportunistes, à la manipulation des processus électoraux, ou à des alliances avec des groupes armés ou économiques.

Comme le souligne Pierre Bourdieu, « la politique est un métier comme un autre, qui suppose un apprentissage, des règles, une éthique ». En d'autres termes, la politique est comme l'économie, la médecine, la chimie et la physique. Une mauvaise application de ces connaissances pourrait mettre en danger la vie humaine. Or, en Haïti, la politique est souvent réduite à une voie de promotion personnelle ou de captation de ressources publiques, au détriment du bien commun. En conséquence, ce phénomène engendre une profonde crise de confiance entre les citoyens et leurs représentants, renforçant l’abstention, la résignation ou, pire, le recours à des formes extrêmes de contestation. De plus, cette classe politique contribue à l'effondrement progressif de toute culture politique. L'absence de projets de société clairs, la faiblesse des partis politiques et la vacuité des débats publics, compromettent la transmission des valeurs démocratiques et de citoyenneté. Comme l'a analysé Hannah Arendt dans son livre « La crise de la culture », la crise de la politique survient lorsque « les citoyens ne croient plus que la politique peut changer leur vie ».

Effectivement, la permanence de cette classe politique déconnectée et inefficace constitue une menace existentielle pour Haïti. De 1986 à date, elle nourrit une spirale de méfiance, d’apathie, et de violence. Le blocage de toute réforme structurelle qu’elle soit institutionnelle, éducative, économique ou sécuritaire dans le pays. C’est en grande partie le fruit de cette élite politique incapable d’agir au-delà de ses intérêts immédiats, malgré l’apport de la fameuse constitution de 1987. Dans son ouvrage La société contre l'État, Pierre Clastres montre comment certaines sociétés refusent la centralisation du pouvoir pour éviter la domination. Pourtant, en Haïti le pouvoir est capté par une minorité politique sans légitimité populaire, qui étouffe toute forme de participation citoyenne réelle et empêche l’émergence d’une gouvernance inclusive dans le pays.

Comme politologue, on observe que la politique haïtienne est dévoyée entre intérêts personnels et logique de clan, et cette pratique ne date pas d’hier. Aujourd’hui, cette pratique est en perpétuelle répétions. Ce qui fait au lieu de mettre la politique au service de la nation, une grande partie de la classe politique haïtienne s’illustre par l’accès aux postes de pouvoir est souvent dicté par des logiques d’affiliation politique, familiale ou régionale ou sectorielle. La compétence est reléguée au second plan, au profit de la loyauté envers des figures ou clans politiques. Autre observation, la mauvaise gestion des fonds publics, les scandales de corruption à répétition, notamment autour du fonds de la CIRH, du fonds Petro-Caribe, Fonds de Gestion et de Développement des Collectivités territoriales (FGDCT) et autres, illustrent la déviation des ressources publiques au profit d’intérêts privés. En ce sens, on réalise que l’opinion des citoyens comprend L’État dans sa structure et sa représentation comme un butin de guerre électorale. De nos jours, la politique devient un moyen d’enrichissement rapide, au détriment des missions fondamentales de service public, de développement et de gouvernance.

À cause de ces mauvaises pratiques, ils ont des conséquences sur nous comme citoyens et ceci sans exception, mais aussi il a des conséquences sur la nation haïtienne dans les rapports interétatiques. Notre attitude de la politique à servir la nation a des conséquences désastreuses. La faiblesse chronique des institutions démocratiques favorise l’instabilité, les crises récurrentes et l’impunité. Le peuple haïtien se détourne de plus en plus de la chose publique, voyant dans la politique une arène de mensonges et de trahisons. Cela alimente l’abstention électorale et la désaffection civique. Le sous-investissement dans l’éducation, la santé, l’agriculture ou les infrastructures est le reflet d’une élite politique plus préoccupée par le court terme électoral que par des réformes structurelles.

En tant que politologue, face à l'échec de la classe politique pour nous, il est évident de repenser la classe politique pour reconstruire l'État. Il ne s'agit pas seulement de « changer de visage », mais de changer les fondements mêmes de la participation politique en Haïti. Pour nous, repenser la classe politique, c'est imposer des critères d'intégrité, de transparence et de responsabilité. Cela suppose une réforme profonde du financement de la vie politique, du fonctionnement des partis politiques et de la gestion des mandats publics. Le bon fonctionnement de la démocratie nécessite des citoyens formés et des acteurs politiques compétents. Il est nécessaire d'intégrer l'éducation civique dès l'école et de favoriser l'apparition de nouvelles générations de leaders provenant de la société civile, des universités, des syndicats ou des communautés. Il est essentiel de transcender les logiques des partis individuels afin d'établir de réelles organisations idéologiques aptes à structurer la politique et à présenter des projets précis. Et encourager l'implication des jeunes, des femmes, des dirigeants communautaires et des diasporas. La représentation de la diversité et de la complexité de la société haïtienne contemporaine ne peut être assurée uniquement par l'élite politique actuelle.

Pour conclure, refonder la classe politique n’est pas un luxe ni une utopie, c’est une obligation et une nécessité vitale pour Haïti. Il en va de la survie démocratique de la nation. L’histoire nous enseigne que les transitions réussies reposent toujours sur l’émergence d’élites responsables et visionnaires, capables de placer l’intérêt général au-dessus des intérêts partisans ou personnels. Haïti a besoin de politiques qui incarnent l’avenir, et non qui s’accrochent au passé. Cette refondation passe par un sursaut collectif, une volonté politique forte, et l’engagement de tous les secteurs de la vie nationale. Comme l’écrivait Aimé Césaire : « Il est temps de faire de l’histoire une force vivante ». Pour Haïti, cette histoire commence par la construction d’une nouvelle classe politique au service de la nation. Refonder une nouvelle classe politique, c’est restaurer le lien de confiance entre gouvernés et gouvernants, et faire de l’action publique un instrument au service du bien commun. Le renouveau de la nation haïtienne passe nécessairement par le renouveau moral, intellectuel et éthique de sa classe politique.

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Jonathan MEUS

Politologue

jonathanmeus6@gmail.com

50947012255


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