Blindés en taxis : le cercueil roulant de l’État haïtien

Quand les blindés deviennent des taxis, c’est l’État lui-même qui se met en location. Un État-taptap, brinquebalant, sans direction, vendu au plus offrant.

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Publié le 15-Septembre-2025

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Il fut un temps où l’on croyait que les véhicules blindés symbolisaient la force de l’État. Aujourd’hui, en Haïti, ils symbolisent son cadavre. Ces engins, livrés à la Police nationale d’Haïti (PNH) pour faire face aux gangs, sont désormais détournés en taxis improvisés, transportant des civils du Champ de Mars à l’Autorité Portuaire Nationale (APN). Un spectacle grotesque, indigne, qui dévoile au grand jour la faillite des institutions de sécurité et le déshonneur d’un pays livré aux trafics de survie.

CSPN : un conseil fantôme, complice par inaction
Le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) est censé être le cerveau de la sécurité publique. Mais quel cerveau, quand le pays s’effondre sous leurs yeux ? Pendant que les gangs dictent leurs lois, que les routes nationales deviennent des couloirs de rançons et d’enlèvements, le CSPN brille par son silence.
Ces blindés-taxis sont leur humiliation collective : ils prouvent que les outils stratégiques, achetés à coups de millions, ne servent plus à combattre le crime mais à pallier l’absence de transport public dans une capitale abandonnée.

CAP et PNH : incapacité et corruption institutionnalisée
Le Commandement de l’Armée et la Police Nationale d’Haïti (PNH) se partagent un triste mérite : avoir démontré qu’aucune hiérarchie, aucun uniforme, aucune arme ne peut tenir face à la corruption et au laxisme. Comment expliquer que des blindés flambant neufs deviennent des taxis clandestins ? Est-ce un ordre tacite, une complicité organisée ou simplement l’indifférence absolue de ceux qui devraient incarner l’autorité ?
La PNH, déjà discréditée par sa lenteur et son inefficacité, s’offre désormais en ridicule spectacle : au lieu de traquer les criminels, elle transporte des civils payants comme un chauffeur de taptap en uniforme.

FAd’H et MSS : des fantômes budgétivores
Et que dire des Forces Armées d’Haïti (FAd’H) et du Ministère de la Sécurité Sociale (MSS), éternels gouffres financiers, toujours présents sur le papier mais introuvables sur le terrain ? Les blindés transformés en taxis montrent que l’armée, censée épauler la police dans des situations d’urgence, n’est rien d’autre qu’un fantôme budgétivore.
Quant au MSS, il s’enfonce dans une bureaucratie inutile pendant que la sécurité nationale se délite. Ce ministère, censé protéger et organiser, est devenu un décor de carton-pâte dans une pièce macabre où l’État abdique devant les gangs.

Une débrouillardise forcée, marque du chaos
Certains diront que transformer des blindés en taxis illustre l’ingéniosité haïtienne, cette capacité à bricoler dans le désastre. Mais non : ce n’est pas de l’ingéniosité, c’est de l’humiliation.
Dans un pays normal, un blindé patrouille, protège, dissuade. En Haïti, il transporte des passagers désespérés qui payent pour échapper à un enfer urbain. C’est la marchandisation de la survie, et c’est la preuve que les institutions ne valent plus rien.

Une capitale transformée en cirque de l’absurde
Port-au-Prince, jadis cœur politique, est aujourd’hui une capitale-fantôme. Sur ses avenues dévastées, les blindés roulent comme des cercueils ambulants, non pas pour sauver la République mais pour gagner quelques billets.
Cette scène, grotesque et tragique à la fois, devrait scandaliser chaque citoyen. Mais le pire est ailleurs : l’habitude. Le peuple s’habitue à tout, même à l’indignité, pendant que ses dirigeants organisent leur survie politique dans des salons climatisés.

La faillite totale de l’État
Ce détournement n’est pas un accident. C’est la preuve que l’État n’existe plus. Ni CSPN, ni CAP, ni PNH, ni FAd’H, ni MSS : rien ne fonctionne, rien ne protège, rien ne gouverne.
Quand les blindés deviennent des taxis, c’est l’État lui-même qui se met en location. Un État-taptap, brinquebalant, sans direction, vendu au plus offrant.

La question n’est plus de savoir si Haïti est en crise. La crise est derrière nous. Nous sommes dans la phase terminale d’un pays où la sécurité, la dignité et même la souveraineté se troquent comme un ticket de transport. Et il n’y a pas de retour en arrière tant que les mêmes fossoyeurs tiennent les rênes.

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Maxime Daniel ETIENNE

Journaliste

maximedanieletienne@gmail.com

+509 4133-8168


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