Gonaïves en ébullition : la rue réclame justice pour Wilfort Ferdinand alias Ti Wil
La mort de Ti Wil et l’explosion de colère qui l’entoure soulèvent une question centrale : comment peut-on sérieusement parler d’élections dans un pays où même les figures locales, qu’elles soient adulées ou craintes, sont abattues en pleine rue dans l’impunité totale ?

Publié le 18-Septembre-2025
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Gonaïves, 17 septembre 2025 – Les Gonaïves ont grondé ce mercredi au rythme de la colère et des rafales tirées en l’air. Plusieurs centaines de personnes ont pris d’assaut les rues dès l’aube pour protester contre l’assassinat de Wilfort Ferdinand, alias Ti Wil, figure locale connue et controversée, abattu la veille dans des circonstances encore nébuleuses.
Une ville paralysée par la fureur
Dans le centre-ville, toutes les activités ont été stoppées. Boutiques closes, marchés vides, circulation bloquée : les Gonaïves ressemblaient à une cité assiégée par sa propre population. Des barricades de pneus enflammés obstruaient les artères principales, tandis que des coups de feu sporadiques résonnaient comme pour rappeler l’urgence d’une justice attendue.
« Yo touye Ti Wil, se nou yo touye ! » scandait un manifestant, le visage masqué par un foulard, en brandissant une pancarte tachée de rouge.
Un assassinat aux contours opaques
La veille, mardi 16 septembre, Ti Wil et un accompagnateur ont été criblés de balles à Canal Bois, sur la route de Gros-Morne. L’attaque a été brutale, ciblée, et laisse planer un lourd mystère.
« Nou vle konnen kiyès ki bay lòd sa ! Nou pap janm kite bagay sa pase konsa », a hurlé une femme en larmes, se présentant comme une proche de la victime.
Ti Wil, héritier de l’Armée Cannibale
Wilfort Ferdinand n’était pas un inconnu dans le paysage politique et violent des Gonaïves. Ancien leader de l’Armée Cannibale, un groupe armé tristement célèbre en 2003, il a longtemps régné en maître sur certains quartiers de la ville, notamment Raboteau. À l’époque, ses partisans le considéraient comme un « libérateur » ayant contribué à chasser l’ancien président Jean-Bertrand Aristide en 2004. Mais pour d’autres, il restera associé à des années de terreur, de règlements de comptes sanglants et d’exactions contre des civils.
Des rumeurs et un climat explosif
Les spéculations vont bon train dans l’Artibonite. Certains avancent la thèse d’un règlement de comptes entre groupes armés. D’autres accusent directement des forces de l’ordre ou des acteurs politiques. Pour l’heure, les autorités restent muettes.
« Yo konnen byen ki moun ki te nan machin nan, se pa aksidan ! » lâche un autre manifestant, accusant « l’État et ses complices » d’avoir éliminé Ti Wil.
La révélation explosive de Jerry
Dans la soirée, une révélation est venue jeter de l’huile sur le feu. Jerry, proche collaborateur et bras droit de Ti Wil, a publiquement accusé le Directeur départemental de l’Artibonite, Jacques Ader, d’être le véritable auteur de l’exécution.
Selon lui, c’est Ader lui-même qui aurait tiré la balle fatale, achevant Ti Wil d’un coup direct en pleine tête. « Yo te vize l’ nan tèt, moelle li pete an miyò », a-t-il déclaré, décrivant une scène macabre où la boîte crânienne de l’ex-chef éclatait sous la décharge.
Cette déclaration, d’une gravité inédite, met directement en cause la hiérarchie policière, ouvrant la voie à une confrontation frontale entre la rue et l’État.
Un symbole pour une jeunesse abandonnée
Si Ti Wil divisait l’opinion, il incarnait pour une partie des jeunes des quartiers populaires une figure de résistance. « Li te konn ede moun, li pa t’ pè leve vwa li kont enjistis », confie un étudiant qui dit avoir bénéficié de son soutien. Son assassinat, au-delà de la personne, est perçu comme une attaque contre une communauté déjà marginalisée et oubliée.
La partie silencieuse : un passé sanglant
Mais derrière cette mobilisation bruyante, une autre voix s’élève, plus discrète, presque étouffée par la clameur des manifestants : celle de familles brisées par la violence de Ti Wil lui-même.
Car l’homme que certains glorifient comme un « leader » traînait aussi une réputation de bourreau. Plusieurs sources locales affirment qu’il n’hésitait pas à exécuter ses proches lors de conflits internes. Des témoignages rapportent même des cas de mineurs tués froidement lors de règlements de comptes dans les quartiers.
« Tout moun ap kriye dèyè li, men se li menm ki te fè anpil kay kriye deja », murmure une mère rencontrée non loin de Raboteau, qui dit avoir perdu un neveu de 16 ans sous ses balles.
Ces voix, minoritaires dans la rue, rappellent la complexité d’un personnage à la fois redouté et adulé, dont la mort divise autant qu’elle choque.
Une poudrière dans l’Artibonite
Cette exécution intervient dans un département déjà fragilisé par les violences armées et la montée en puissance de coalitions criminelles. L’absence de clarté sur les circonstances de la mort de Ti Wil risque de radicaliser davantage la population et d’enflammer une région où l’État peine à s’imposer.
« Si yo pa arete moun ki fè zak sa, n’ap leve plis toujou », prévient un autre manifestant, annonçant de nouvelles journées de mobilisation.
Le silence des autorités
Au moment où nous publions, aucune déclaration officielle n’a été faite par la Police nationale d’Haïti (PNH) ni par les autorités judiciaires locales. Un silence jugé insupportable par la population, qui y voit une tentative d’enterrer l’affaire.
Une conclusion qui dérange : élection ou illusion ?
La mort de Ti Wil et l’explosion de colère qui l’entoure soulèvent une question centrale : comment peut-on sérieusement parler d’élections dans un pays où même les figures locales, qu’elles soient adulées ou craintes, sont abattues en pleine rue dans l’impunité totale ?
La scène des Gonaïves rappelle une réalité brutale : sans sécurité, sans justice, sans institutions fortes, tout projet électoral n’est qu’une mascarade vouée à légitimer la violence et la décadence.
Haïti est aujourd’hui piégé dans un cycle infernal où l’État crée, arme puis détruit ses propres monstres. La disparition de Ti Wil ne résout rien : elle ne fait que renforcer l’impression d’une nation prise en otage, incapable de protéger ses citoyens, et encore moins d’organiser un scrutin crédible

Maxime Daniel ETIENNE
Journaliste
maximedanieletienne@gmail.com
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